Hiroshima pour toujours

 

Elle a tout vu, à Hiroshima. Cette survivante raconte la catastrophe en long et en large à un documentariste qui la filme en silence. La vielle dame, très digne, décrit l'horreur avec un calme absolu. Cela dure vingt bonnes minutes, sans le moindre bafouillage. La performance peut sembler pesante. Il faut passer outre. La suite avait besoin de cette entrée en matière un peu rude. Au bout de ce tunnel, il y a la lumière.

Akihiro sort du studio. C'est un Japonais exilé à Paris. Il retrouve son pays natal. Soixante- dix ans que la bombe a ravagé l'endroit. Il en reste des traces, pas tant dans la ville que dans les esprits. Le cinéaste placide s'assied sur un banc dans un parc, à côté d'une demoiselle. Elle est rigolote, celle-là. Ça n'est pas une timide. Elle l'entreprend, le secoue, l'entraîne avec elle. Quelle chance il a ! Voilà qu'elle lui montre les lieux de la tragédie. Il écoute. Elle est étudiante. Elle rit beaucoup. Il n'aime pas le kimono qu'elle porte. Trop traditionnel. Ça n'est pas grave : elle ira l'échanger contre une robe plus moderne.

Cette Michiko connait l'histoire par cœur. Les rues n'ont pas de secrets pour elle. On devine qu'elle n'a pas vu le film d'Alain Resnais qui évoque ce douloureux épisode. Les passants la regardent. Elle est jeune, vive, heureuse, épanouie. Comment fait-elle ? Elle cache quelque chose.

 

Une discrétion honorable

En face d'elle, il se sent étranger. C'est une douceur de la suivre, de l'écouter. Avec elle, tout est possible. Tout est permis. D'où vient-elle ? Ah, ah, mystère. Une délicate musique au piano accompagne leurs déambulations. Ils se frôlent. Cela est bref. Elle est légère comme un fantôme, possède une présence quasi irréelle. Il ne peut pas croire à ce qui lui arrive. On dirait qu'il n'a jamais rencontré de fille capable de monter dans un tram sans billet, de l'emmener voir la mer (Michiko n'a jamais vu la mer : cette bizarrerie ajoute à son charme).

Les paysages n'ont rien de touristique. Des sortes d'usines défilent derrière la vitre. Terminus, tout le monde descend. Le littoral est banal. À un détail près : sur une jetée, un gamin de 8 ans pêche à la ligne avec son grand-père. Les poissons s'agitent au bout du fil en nylon. Michiko ne sait pas comment les détacher. Des fous rires se déclenchent. Le bonhomme a-t-il vécu l'explosion atomique, lui aussi ? Il s'occupe du garçon. Visiblement, les parents ne s'en soucient guère. Et si ce soir on allait à la fête des ancêtres ? Tout le monde applaudit.

Le cinéaste et l'étudiante dînent dans cette famille recomposée, dorment dans le salon. À un moment, elle lui prend la main. Ce geste furtif sera la chose la plus expansive du film. Cette discrétion honore Jean-Gabriel Périot, qui ne hausse pas la voix, ne force pas son sujet. Il chuchote ; on tend l'oreille. Les souvenirs de la guerre se passent des tambours. C'est un petit film qui n'a l'air de rien. Il laisse un sentiment de perte, avance d'un pas feutré, cultive la mémoire avec une grâce de libellule .

 

Éric Neuhoff
Le Figaro
16 août 2017